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14 janvier 2019

Le stockage d’électricité par pompage thermique

Publié par Philippe MUGUERRA | N° 269 - Dossier : Le Monde de l'Electricité

Le Stockage d’Electricité par Pompage Thermique (SEPT) ou Pump Heat Energy Storage (PHET), par Philippe Muguerra (Saipem)

En 2020, 20% de l’énergie produite en Europe devra provenir de ressources renouvelables. Depuis dix ans, la quantité d’électricité produite par le solaire et l’éolien augmente régulièrement. La lutte contre le réchauffement climatique va accélérer la part de ces solutions dans le mix énergétiques avec pour objectif à terme de décarboner au maximum la production d’électricité. Mais ces solutions sont par nature intermittentes et leur intégration au réseau électrique nécessite de pouvoir gérer à tout instant la balance entre la production et la demande. Aujourd’hui, avec un taux de pénétration faible, on sait gérer ce phénomène en utilisant des solutions de secours (groupe diesel ou turbine à gaz) qui émettent cependant du dioxyde de carbone.

Le stockage d’électricité permet aussi de répondre à cette problématique. On a ainsi recours à des solutions de stockage telles que des batteries pour le solaire dont l’intermittence est prévisible ou le pompage hydraulique quand la production éolienne est à proximité, comme dans le cas du Danemark. Hélas, malgré le développement de nombreuses technologies, on n’observe pas l’émergence d’un marché car, au-delà de la problématique technique, le stockage d’énergie nécessite de repenser les réseaux électriques. En effet, si on imagine un réseau capable à tout instant de compenser l’intermittence en allant chercher de l’électricité sans limite de distance, le pompage hydraulique ou le recours à un générateur fossile à bas cout sera toujours privilégié face à un système de stockage local et décarbonné. Si on se place par contre dans un système décentralisé où l’énergie doit être produite localement en maximisant le recours à des énergies non émettrices de gaz à effet de serre, le stockage d’énergie apporte une solution permettant une gestion régionale et décarbonée de l’électricité. La question se pose alors du choix de la technologie pour répondre à ce nouveau marché.

Si on se place dans le cas d’une ville comme le Havre (200 000 habitants) alimentée uniquement par un parc éolien offshore de 500MW et utilisant un système de stockage d’électricité pour compenser l’intermittence et ne pas avoir recours à un générateur de secours ou au réseau électrique, le système de stockage doit être capable de stocker 1GWh en 4h et restituer cette énergie dans le même temps ce qui correspond à une puissance de décharge de 250MW. Un dimensionnement préliminaire d’une batterie lithium-ion permettant de répondre à ce besoin conduit à une masse de lithium requise de 9000 t (20% de la production mondiale en 2017) et à une surface de l’installation de 50 000 m2 (7 terrains de football). Au vu de ces ordres de grandeur, on se rend compte que les batteries ne pourront répondre à ce marché du stockage massif. Si on envisage un système de stockage par pompage hydraulique, la hauteur disponible dans la région Normandie n’est pas suffisante pour obtenir une réponse satisfaisante à ce besoin.

Au vu de ce constat, des solutions innovantes sont nécessaires. La société Saipem a ainsi imaginé une nouvelle solution pour répondre à la problématique du stockage massif d’électricité. Cette solution appelée Stockage d’Electricité par Pompage Thermique (SEPT) a fait l’objet d’un brevet en 2007 et s’appuie sur un stockage thermique de l’énergie électrique. Comme le montre la table suivante, on peut obtenir une densité énergétique bien supérieure en stockant de la chaleur dans des briques réfractaires que celle obtenu grâce à une batterie ou une retenue d’eau à faible altitude. C’est ce principe qui a été retenu pour obtenir une solution de stockage compacte.

 

Table : Densités intrinsèques d’énergie

Batterie Li-ion

200 kWh/t     (batterie complète)

Eau pompée à 360 m de haut

1 kWh/t

Réfractaire chauffé à 1000°C

600 kWh/m3 (volume de solide chaud)

 

Malgré la très grande densité énergétique, il faut trouver un cycle thermodynamique permettant la conversion de l’énergie électrique en chaleur et sa restitution après stockage avec un bon rendement. Le principe de fonctionnement repose ainsi sur un cycle fermé utilisant un gaz chimiquement neutre (azote ou argon). Durant la phase de stockage, le gaz à basse pression se chauffe au contact d’un lit de matériau de stockage (S1) préalablement chauffé à 400°C. Ce gaz est ensuite comprimé au travers d’un compresseur (C1) alimenté en énergie électrique à stocker et sa température s’élève à 800°C. Ce gaz chaud échange alors sa chaleur avec un autre lit de stockage (S2) qui, au départ, est à basse température (25°C). Le lit s’échauffe de 25 à 800°C suite au passage du gaz et le gaz est ensuite détendu à 1 bar dans une turbine (T1) qui alimente en partie le compresseur (C1). Le gaz ressort alors à -75°C et se réchauffe au contact du lit de matériau de stockage (S1) pour ressortit à 400°C. Durant toute la phase de stockage le gaz circule, refroidissant l’enceinte S1 de 400°C à -75°C et réchauffant l’enceinte S2 de 25° à 800°C. A la fin du cycle de stockage, de l’’énergie électrique est stockée sous forme de chaleur grâce à un cycle thermodynamique de type « pompe à chaleur » qui présente un coefficient de performance de l’ordre de 200%. La phase de stockage est présentée sur la figure 1.

Figure 1 : Schéma de principe lors du chargement

 

Durant la phase de déstockage, le gaz circule en sens inverse suivant un cycle thermodynamique de type « turbine à gaz ». L’énergie électrique est produite grâce à la différence de température entre les deux lits de stockage et on peut estimer que le rendement de conversion est d’environ 30 %. La phase de stockage est présentée sur la figure 2. Au final, le rendement global du cycle avoisine les 70 %.

Figure 2 : Schéma de principe lors du déchargement

D’un point de vue technique, la solution est composée de deux réservoirs remplis de matériaux de stockage résistant à la température. Leur fonctionnement est similaire à un régénérateur de four de verrerie ou de sidérurgie. Des tests expérimentaux réalisés dans le cadre d’un projet financé par l’ANR ont montré que l’utilisation de galets de basalte est bien adaptée aux températures visées pour ce procédé. L’utilisation d’un matériau abondant et neutre d’un point de vue environnement est un des atouts de ce procédé face à d’autres technologies telles que les batteries lithium-ion.

En ce qui concerne les machines thermodynamiques, deux machines sont nécessaires « une pompe à chaleur » qui sert à transformer l’électricité en chaleur et « une turbine à gaz » qui restitue de l’électricité à partir de la chaleur. Sur le marché, on trouve des machines similaires mais aucune ne répond parfaitement au besoin de ce procédé. La « pompe à chaleur » en particulier est un objet totalement nouveau qui vise à produire de la chaleur haute température (800°C) à partir d’une chaleur moyenne température (400°C). Un projet de recherche a démontré qu’à ces niveaux de température, il était tout à fait techniquement faisable de réaliser de telles machines. Hélas, le marché du stockage n’existant pas et les autres applications de telles machines n’étant pas encore trouvées, les fournisseurs de machine ne sont pas intéressés pour lancer un nouveau développement sur ce sujet. Ceci représente aujourd’hui un frein majeur au développement de cette technologie et du procédé.

Finalement, lorsqu’on reprend notre cas d’étude, l’installation SEPT nécessite deux réservoirs de 30m de diamètre et 20m de hauteur et une surface pour l’ensemble de l’installation de 8000 m2 (un terrain de football). Une vue d’artiste du système est présentée sur la figure 3.

Figure 3 : Vue d’artiste d’un système de stockage SEPT.

 

Il semble ainsi bien adapté et possède de nombreux atouts comme :

  • son adaptabilité, sa compacité et son acceptabilité géographique bien meilleure qu’un système de pompage hydraulique,
  • sa neutralité environnementale et sa durabilité bien meilleure qu’une batterie lithium-ion qui nécessite d’être remplacée régulièrement et consomme une ressource rare et stratégique,
  • Le découplage entre puissance et énergie stockée qui permet de développer des solutions versatiles adaptées au besoin du client.

Figure 3 : Taille comparée entre un stockage pompage hydraulique et un système de stockage thermique.

 

Il reste cependant un verrou important à lever, lié au développement des turbomachines. Pour répondre à cet enjeu, Saipem envisage la mise au point d’un démonstrateur de faible dimension qui permettra de valider le procédé et les machines. Durant cette période, Saipem espère que le développement des énergies renouvelables va se poursuivre et que le stockage d’énergie deviendra de plus en plus nécessaire permettant ainsi à un marché d’émerger. Dans une seconde étape, une démonstration à échelle industrielle est envisagée en 2025 pour un déploiement commercial de la solution en 2030. Le plan de développement de technologie SEPT est présenté sur la figure suivante.

Figure 4 : Plan de développement de la technologie SEPT

 

En conclusion, le stockage d’énergie électrique massif est une solution d’avenir permettant le développement de réseau électrique décentralisé s’alimentant à 100% avec des sources renouvelables locales sans aucune émission de gaz à effet de serre. Malgré des applications concluantes des batteries lithium-ion et des systèmes de pompage hydraulique, ces technologies ne pourront pas répondre complètement à ce nouveau marché. Le développement de nouvelles technologies telle que le procédé SEPT est aujourd’hui nécessaire et requiert un soutien politique pour faire évoluer les réglementations et faire émerger des cas d’application pour lesquels la technologie pourra être développée. Aujourd’hui, les seuls cas d’application identifiés sont les zones insulaires et Saipem souhaite positionner sa technologie pour apporter une solution durable, compacte et efficace pour permettre une transition énergétique rapide et efficace dans ces territoires.

Voir sur les figures suivantes, les conditions opératoires et les flux d’énergie (sur un cas typique) :

 

 

 

 

 

 

 

 



 

 
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Auteur

Philippe MUGUERRA

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